Le numérique est-il au rendez-vous de la dématérialisation promise ? Cet outil que nous utilisons au quotidien et qui nous apparaît si virtuel et éthéré, ne peut avoir qu’un impact limité sur la nature et ces ressources. Voire même un impact positif ! Mais est-ce réellement le cas ?

C’est sur ce sujet que le Label Méristème cherche à apporter un éclairage, afin d’en comprendre les enjeux et les fonctionnements, pour réussir à limiter notre impact écologique dans notre utilisation quotidienne. Que nous soyons des utilisateurs privés ou des professionnels, ce sont des questions que nous devons nous poser, mais pour lesquelles nous n’avons pas forcément les éléments de réponse. Alors commençons, …

Tout d’abord, il est important de bien comprendre que tout virtuel que soit l’univers du numérique, il repose sur des objets et sur des installations bien concrètes : ordinateurs, smartphones, tablettes, câbles, processeurs, disques durs, data center, puce, relais, fibres, réseaux filaires ou non, antennes, etc Ce ne sont que quelques uns des produits et installations bien concrets, indispensables à la création de cet univers virtuel du numérique. Cet univers est donc d’une virtualité très relative ! Relative à quel point me demandez-vous ? A titre de comparaison, l’ensemble des activités liées au numérique sur la planète produit plus de CO2 que le transport aérien civil mondial à l’heure actuelle. Il devrait représenter le triple en 2025, à savoir l’équivalent du transport routier (hors poids-lourd). (Source « LA NOUVELLE RELIGION DU NUMÉRIQUE, le numérique est-il écologique ?« , Florence RODHAIN– Editions EMS – Collection Versus – 2019 – 132 pages)

Comme tout produit concret, l’économie numérique se base sur des usines de production de biens, qui seront exploités et utilisés pendant leur durée de vie, puis seront obsolètes et arriveront en fin de vie. Nous allons donc nous intéresser à ces trois phases que sont la PRODUCTION, l’UTILISATION et le RECYCLAGE des produits numériques.

Pour avoir des conseils d’utilisation du quotidien, afin de réduire votre empreinte numérique personnelle et/ou professionnelle, je vous renvoie vers notre article « Les bonnes pratiques du numérique vert ».

La production

La production des objets et installations de l’économie numérique représente 45% des émissions de carbone citées ci-dessus. Un des nouveaux emblèmes visibles du secteur numérique est le smartphone ou la tablette. Il prend même le dessus sur l’ordinateur grâce à sa facilité d’utilisation et son nomadisme. Suivant une étude menée par Green it et l’ADEME, la fabrication d’un seul smartphone nécessite 240kg de combustibles fossiles, 22kg de produits chimiques, 1,5tonne d’eau et bien sûr des métaux et éléments rares, en quantité très limitée sur terre (environ 60 matériaux différents pour un smartphone). Tout cela pour aboutir à un objet de 160g en moyenne et d’une durée de vie située entre 15 mois et 2ans et demi. Et cela ne prend pas en compte toutes les installations nécessaires à son fonctionnement (réseaux, antennes, data centers, etc).

L’utilisation

Ceci étant dit concernant la production, la partie qui nous intéresse le plus, nous, utilisateurs, c’est ce qui concerne l’impact de l’usage que nous faisons des moyens numériques. Cette partie représente 55% des émissions du numérique mondial et 30% des dépenses électriques des ménages en France. A ce propos, les TIC (Technologies d’information et de communication) sont devenues le premier poste de consommation des ménages français (informatique et audiovisuel), avec 5,5 écrans par foyer (Cf le livre de Florence Rhodain). Ces usages multiples que nous faisons des produits numériques, peuvent pour autant se regrouper en plusieurs grands ensembles : je distinguerais l’utilisation d’internetle hardware (matériel informatique), et les effets réels de la dématérialisation.

INTERNET Ce qu’il faut bien garder en tête c’est que, pour virtuel que soient les différents services d’internet, ce sont toujours des données binaires, qui doivent être stockées quelque part et véhiculées par des réseaux, pour arriver jusqu’aux utilisateurs finaux. Prenons quelques exemples précis. Comme on peut le voir sur le document ci-dessus, toutes les actions que nous faisons sur internet engendrent un coût carbone. Que ce soit la chose la plus simple comme de faire une recherche sur un moteur de recherche (10g de CO2 émis par recherche), comme d’envoyer un email ou de regarder une vidéo sur You Tube. Selon le document de Green it et de l’ADEME, ce qui a le plus d’impact est le visionnage de vidéo par internet. Et pourtant nous en sommes submergés à tout moment.

Comment cela est-il possible ? C’est tout simplement dû au fait que pour accéder à ces données, il faut les stocker quelque part sur des mémoires géantes, que l’on appelle des Data Centers ou des fermes de serveurs. Le serveur étant un ordinateur dédié uniquement à stocker des informations et à les rendre disponibles. C’est bien beau mais ça ne doit pas être si compliqué ! Et bien si, car le problème de notre époque est que nous sommes littéralement submergés d’informations. Ces Fermes de serveurs font leur apparition un peu partout sur la planète, et nécessitent du matériel de pointe, de l’énergie pour faire fonctionner le matériel et de l’énergie pour climatiser les locaux et éviter la surchauffe du système ! Ce qui correspond à 50/50 : 50% pour le fonctionnement et 50% pour la climatisation. Certains acteurs du numérique sont même allés jusqu’à installer des fermes de serveurs dans les pays nordiques, afin de bénéficier de l’air froid ambiant pour refroidir leurs serveurs. De même, et dans certains cas comme au quartier d’affaire Val D’Europe (Ouest parisien), la chaleur générée par un Data Center est récupérée pour chauffer une piscine municipale et des locaux.

Cependant, les fermes de serveurs ont gagné en efficacité et consomment de toute façon moins que les terminaux. Le vrai gouffre énergétique, comme le souligne le rapport de NégaWatt sur la question, c’est le « dernier kilomètre numérique », celui qui aboutit à l’utilisateur final. Les ordinateurs et autres smartphones, ainsi que les réseaux sans fil, avec en tête la 4G, qui consomme 23 fois plus d’énergie que le wifi.

LES EFFETS REELS DE LA DEMATERIALISATION Le numérique tient-il sa promesse de dématérialisation ? Prenez l’exemple des photos. Depuis que nous sommes passé au numérique et que nous n’avons plus besoin de tirer nos photos sur papier, le nombre de photos que nous prenons a explosé. Il en va de même pour tous les documents numériques. La conséquence de tout cela, ce sont toujours ces fermes de serveurs géantes qui pour certaines ont les besoins en énergie d’une ville comme Nantes !

Cette énergie est d’ailleurs massivement « sale », ou polluante et non renouvelable. D’après une étude de Greenpeace intitulée « Votre Cloud est-il Net ?,“, voici les pourcentage d’énergies « propres » utilisées par les serveurs des GAFA et autres monstres du numérique : Apple 15,3%, Google 56,4% et Dell 56,3%. Cette part est donc très variable d’un acteur à l’autre.

Comme pour les photos, un des gros arguments de l’offre numérique est la diminution de la consommation de papier grâce à la dématérialisation. Selon l’étude IPSOS : « zéro papier, mythes et réalité », il n’en est rien. L’utilisation du papier suit la progression des TIC. On a peut-être moins besoin d’imprimer systématiquement, mais on reçoit beaucoup plus de documents qu’avant. Au final, cette promesse se révèle fausse dans ces résultats.

LES CLOUDS Pour finir avec l’utilisation du numérique, je voulais aborder les clouds. Ces nuages virtuels dans lesquels nous stockons nos données, se révèlent plus noir de pollution que blanc. En effet, comme nous sommes submergés de données sur nos appareils, même s’ils peuvent stocker de plus en plus, sont très vite saturés. Nous optons alors plus facilement pour des éléments consultables en ligne, sur le principe de You Tube pour les vidéos, ou pour des clouds dans lesquels stocker nos précieuses données. Seulement, les clouds ne sont pas si éthérés que leur nom ne le laisse présager. Le côté concret des clouds sont à nouveaux ces grandes fermes de serveurs, qui ne cessent de s’agrandir et de se multiplier sur toute la planète, afin de répondre à la boulimie croissante de données. Et la conséquence sur le climat et la nature est loin d’être neutre. D’autant que pour y accéder, il faut impérativement une connexion internet. Ce qui sous-entend un réseau performant et présent partout. C’est pourquoi nous passons au réseau 5G, afin d’augmenter encore le débit de données transmises. Mais il semble que la 5G ne soit pas neutre du tout pour la santé humaine. Les fréquences des ondes utilisées étant au-delà des limites autorisées par l’Europe, afin de préserver la santé humaine. Il nous faudra donc adapter nos besoins, envies et comportements absolument ! Je vous renvoie vers notre article « Les bonnes pratiques du numérique vert ».

Le recyclage

Pour terminer avec ce tour d’horizon du lien entre numérique et écologie, je vais finir par le recyclage, fin de vie de nos produits. De ce point de vue, vous allez voir qu’il y a encore beaucoup à faire. D’une part, parce que les produits ne sont pas éco-conçus, dans le sens où les fabricants limitent leur durée de vie et n’intègrent pas ou peu le recyclage, sans compter qu’ils utilisent des matériaux rares et disponibles en faible quantité. Concernant les produits numériques de manière générale, 20% est recyclé et 80% est incinéré. Ceci quand le produit est pris en charge dans des pays disposant des infrastructures pour les traiter correctement. Car pour beaucoup, les produits numériques sont encore envoyés dans des pays ne disposant pas de ces moyens et leur destruction génère une pollution dramatique à long terme, des eaux et des sols. En France, on estime que 10% des déchets du numérique sont gérés de façon responsable (cf livre de Florence Rhodain).

Alors maintenant, que faire ? On ne peut raisonnablement pas se passer des services rendus par le monde numérique, mais il va falloir changer notre utilisation et nos comportements vis à vis de ces outils. Avons-nous vraiment besoin de toujours plus de données et de débit ? La solution numérique est souvent présentée comme la solution à tous les problèmes. Mais c’est le plus souvent une solution de facilité, qui au final ne convient pas vraiment aux utilisateurs. Les seuls qui y trouvent leur compte sont ceux qui nous vendent le matériel et les services. Pour ne vous donner qu’un exemple, on présente souvent encore les téléconsultations comme la solution aux déserts médicaux. Mais n’y a-t-il pas d’autres solutions aussi simples et qui pourraient permettre de garder le contact humain ? Car ce contact humain nous est essentiel malgré tout.

Je termine avec cette anecdote de Graham Bell, un des pères du téléphone. Téléphone dont on disait qu’il supprimerait les déplacements et diminuerait les contacts humains. Que furent les premières paroles de ce bon Alexander lorsqu’il testa son dispositif avec son assistant ? : « Monsieur Watson, venez tout de suite, je veux vous voir ! »

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